lundi 29 novembre 2010

My joy, le film de Sergei Loznitsa aurait du être l'objet d'une bataille enragée comme il en existe dans l'immense et terrible milieu de la cinéphélie parisienne. Au lieu de quoi, des louanges, des honneurs, le robinet d'eau tiède habituel. Dommage pour ce film, à demi réussi (la faute à son sordidisme slave et à la répétition appuyée de ses effets), mais franchement singulier dans ses courts-circuits narratifs et cet incroyable emploi de personnes réelles. Bien sûr, les comédiens professionnels sont aussi des personnes réelles, mais d'un autre réel que le réel idiot que nous connaissons, un réel romanesque, qui rêve ses personnages, les invente, un réel complétement con, en somme (le con étant l'opposé de l'idiot, comme chacun sait). De même, j'ajoute immédiatement que les personnes réelles sont aussi des comédiens, de cette sorte qu'on appelle "amateurs" avant qu'ils ne se mettent à rêver à leur tour, et passent alors dans le réel con des professionnels Et c'est justement ce qu'il y a de plus beau dans "My joy", c'est que tout le monde y rejoint le camp des idiots, des innocents, des pures singularités. Chacun devient un évènement.
A contrario, le film de Guzman, "Nostalgie de la lumière", est affreusement décevant. Pour avoir passé une partie de ces deux dernières années à monter ("démonter" serait d'ailleurs plus adéquat) un documentaire, je suis devenu extrêmement sensible à l'artifice qui permet de forcer le réel en faisant croire que ce qu'on montre est ce qu'on a enregistré, que ce qu'on a enregistré est ce qu'on a vu et entendu, et que ce qu'on a vu et entendu est le réel idiot (d'ailleurs des vrais gens disent que ça n'existe pas le réel, c'est pour cela qu'on trouve un réel idiot, un autre con, et je ne sais combien d'autres encore). Dans son film, tout ce que Guzman semble avoir enregistré est sa propre voix, avec laquelle il tente d'étourdir son spectateur (étourdi naturel, d'ailleurs) pour lui faire croire que les astronomes qui se grattent les couilles dans le désert d'Atacama sont absolument concernés par les restes des opposants à la dictature de Pinochet semés aux quatres vents de ce paysage aride. par des militaires pressés. Scène emblématique quand il filme une mère (ancienne opposante) et son fils (astronome stagiaire) dans leur petite cuisine. La mère essaie de raconter un peu ce qui s'est passé sous Pinochet pendant que son fils se tient derrière comme un écolier puni et fait semblant de l'écouter. J'ai eu le sentiment que Guzman (que j'estime beaucoup pour d'autres films) leur a filé des coups de cravache afin de les enfermer dans ce dispositif.
C'est qu'il y a quand même de cela dans certains documentaires : un exercice de dressage d'idiots pour les conduire vers les joies immémoriales du romanesque.

Aucun commentaire: