vendredi 17 septembre 2010

Si j'aborde "the wire" sous l'angle des lieux et des parcours qui occupent la mise en scène, je vois des personnages pris sur leurs lieux de travail, qui parfois mangent et, plus rarement, baisent. La narration avance ainsi, dans les coins de rue, sur un coin de nappe, derrière un bureau, sur un lit. Mais ce qui est soigneusement évité, ce sont les transports publics. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une façon de ne jamais céder sur le terrain de l'action en plaçant constamment les personnages en situation d'avoir à réagir, quand l'usage des transports publics vous rend passif. L'usager ne serait acteur de rien. Mais il me semble qu'il s'agit d'autre chose qui relève moins d'une intention narrative que d'un point de vue sur le monde. Les pauvres marchent (ce qui les rend immobiles), les riches ont leur voiture (ce qui les rend nomades), la petite classe moyenne prend le bus et le métro (ce qui les rend citoyens). Voilà ce qu'évite au fond "the wire" : un regard sur la classe moyenne, et par là le refus discrètement glaçant d'envisager une citoyenneté possible, faite d'introspection et d'échanges publics. Car l'usage d'un transport public, c'est aussi le dernier lieu possible pour l'examen de soi en même temps que le partage d'une opinion. Rien de tout cela dans "the wire" qui est la vision terminale des coexistences tragiques de communautés différenciées. Sa beauté funèbre tient alors à ce paradoxe génial : plus les héros écoutent, moins ils savent à qui parler.

Aucun commentaire: