mercredi 2 février 2011

“Ne prête pas ta voix à ce qui s’effondre” dit Georges à Lisa, alors qu’il tente de la séduire. Et de fait, la parole, dans « How do I know » apparaît comme le véhicule de forces qui dépassent les personnages. Débridée, branchée directement sur la conscience, bonne ou mauvaise, elle se livre comme un hoquet de sentiments passés au tamis d’un balancement moral. Mais ces mots, pesés au trébuchet d’un désir naïf de sincérité (cette scène merveilleuse du père qui demande à son fils de partir tant il craint de le manipuler encore) n’ont pas plus de signification qu’un babil envoûtant mais malade. La parole n’est plus qu’un symptôme, le signe qu’une puissance cachée agit dans les coulisses de l’esprit pour faire mouvoir des être perplexes, paumés du monde à qui l’on a retiré leurs jouets, une balle de base-ball, la société de papa, tout ce qui permettait de vivre sans parler, maintenant qu’il faut parler pour vivre. C’est tout le programme paradoxal poursuivi par ce quatuor de personnages esseulés : parler pour maintenir le contact, alors que la parole est propice à tous les pièges. Dans cet art superbement classique du plan moyen et du corps qui converse, George et Lisa, pour réussir leur première rencontre, suspendent alors toute conversation, et c’est un bout de modernité télévisuelle qui pointe son nez, l’apparition de gros plans comme une stase temporelle dans l’enchaînement narratif. Infinie supériorité de cette mise en scène qui n’ignore rien de la modernité tout en poursuivant une tradition faite d’élégance et d’invisibilité.
Mais alors cette force, quelle est-elle ? Art du gros plan , art du sourire : celui du père abandonné, celui de l’amant délaissé au moment où les vrais rapports se nouent enfin, quand cette puissance qui a sourdement travaillé pendant tout le film fait naître George et Lisa à l’amour. Et derrière l’amour, Brooks constate la puissance infinie de la vie. La vie comme un rouleau compresseur indifférent à tout ce qui peut en contrarier l’avancée, que ce soit un amoureux isolé, ou surtout ce père dont on sait que le bonheur du fils signera la mort. Pourtant, le condamné ne peut s’empêcher de sourire, avant de comprendre où cela le mène, et de disparaître dans le ciel d’une terrasse pour laisser place quelques étages plus bas, sur le sol que nous avons en partage, à l’amour, à l’enfance et au désir.

Et puis cela, de Shroeter, qu’on peut lire dans le livre qu’Azoury lui a consacré :
« En 1968, la mère de mon fils était tombée amoureuse de mon amant, un jeune artiste peintre américain. Elle était enceinte de quatre mois, ils se sont mariés et ont eu mon fils. J’étais heureux, tu ne peux pas imaginer. J’avais libéré ces deux êtres. »

Douloureuse mais salutaire leçon.

3 commentaires:

P/Z a dit…

Le film peut être vu comme la recherche de la coïncidence qui passerait justement par le silence, cf le beau plan final.
Par ailleurs, il y a selon moi deux personnages pour qui la parole n'est pas piégée, ce sont le portier (encore qu'avec lui on soit plutôt dans une affaire de bonne distance) et le chauffeur du bus (happy birthday, sorte de bon génies qui accompagnent Georges et Lisa vers ce qui sera leur rencontre.

asketoner a dit…

très belle chronique de ce beau film. malgré tout, un je ne sais quoi de terriblement télévisuel m'empêche de voir son classicisme. où vous voyez de la discrétion, je sens surtout beaucoup de conventions d'aujourd'hui : gros plans mobiles, lumière-sirop, musique libidineuse, surcroît d'explications dans le jeu de reese witherspoon, jack nicholson à côté de la plaque - j'ai suivi le film avec plaisir, mais surtout pour ses qualités d'écriture.

les puritains sauvages a dit…

Si la grammaire est conventionnelle - c'est le fond classique du film - le découpage suit une logique très personnelle, un tempo légèrement déplacé par rapport à ce qu'on en attendrait, et pourtant tout cela n'est jamais démonstratif. Quant au jeu des comédiens, il ne s'envisage que par rapport à cette interrogation permanente que les personnages ont sur leur position. Comme ils jouent littéralement le jeu de la sincérité et s'obligent à dire les choses qu'ils croient penser, les comédiens jouent des personnages qui jouent eux-même. ON est quand même loin des canons télévisuels de vraisemblance et de dynamisme.