dimanche 17 octobre 2010

J’ai bien fini un soir par être à mon tour touché par l’histoire de ces 33 mineurs chiliens secourus après deux mois et demi passés au fond d’un trou. J’ai peut-être fini par avoir la sensibilité d’un mouton venu brouter la même herbe que le troupeau. Histoire édifiante qui a donné un os long à ronger aux medias. Et encore, à ma connaissance aucun d’entre eux ne s’est appesanti sur ce chiffre hautement symbolique de trente-trois, promesse d’un récit de mort et de résurrection autant que d’une descente aux enfers avant le rachat des pêchés.
Peut-être l’universalité de ce fait divers s’est jouée ailleurs. J’ai d’abord pensé à l’évidence du spectacle in vivo qui s’offrait aux téléspectateurs : en même temps que les premières vivres, c’est une caméra qui leur fut envoyée dès qu’on comprit qu’ils étaient vivants. Ainsi, la télé-réalité trouvait sa forme ultime. Absolument vraie, absolument réelle et infra ordinaire au possible (car que peut-on faire dans un réduit à la nudité minérale et sous l’œil de centaines de millions ?). La télé à son sommet, donc, et autant pour le capitalisme si l’on songe que l’entrepreneur Pinera était là pour manifester l’énergie et la capacité d’amendement du système libéral, rachetant par sa présence la faute originelle des méchants capitalistes qui n’avaient pas investi dans la sécurité de leur mine. L’histoire des mineurs chiliens a-t-elle donc marqué le triomphe d’une télévision moderne et d’un capitalisme post-industriel ?
Non. Tout  cela relève au plus d’une logique des intentions : vanter l’efficacité d’une politique libérale et paternaliste autant que démontrer les vertus d’un enregistrement du réel en direct.
Mais le fond de cette empathie mondialisée tient, je crois, à des raisons très exactement inverses. Parce que l’univers qui a servi de cadre à ce conte contemporain est nettement identifié dans un imaginaire littéraire. C’est celui de la mine et du monde ouvrier, avec ce qu’il charrie de fatalité et d’héroïsme ordinaire. Ce n’est donc pas la télé qui impose ici ses choix et son point de vue mais bien plutôt la nostalgie d’une culture passée, pas tout à fait oubliée, passée à travers les  nœuds de l’histoire pour ressurgir à l’occasion de ce fait divers.
L’émotion qu’a pu susciter le sort des mineurs tient aussi à cette démonstration de solidarité et de ténacité que l’on a vite fait d’associer aux qualités inhérentes du monde ouvrier. Et plutôt que le rugissement vulgaire du capitalisme contemporain ( et compatible avec la démocratie libérale), c’est donc bien le sentiment d’assister au chant du cygne de la classe ouvrière (une dernière évidence de tout ce qu’il aura pu produire comme résistance, culture, humilité et force) qu’a suscité cette histoire des trente trois mineurs chiliens.

Aucun commentaire: